Amnésie Traumatique : les mécanismes d’une
Stratégie de Survie

L’oubli, la méthode choc du cerveau pour vivre après un traumatisme

Selon la cinquième version du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5), l’amnésie dissociative détermine une « incapacité de se rappeler des informations autobiographiques importantes, habituellement traumatiques ou stressantes, qui ne peut pas être un oubli banal ». Pourquoi et comment une victime, souvent un enfant ou un adolescent, peut oublier un événement dramatique, bâcher un pan de sa vie, et sombrer dans l’amnésie traumatique ? Comment repérer les signes révélateurs de violences durant l’enfance ? De quelle manière des souvenirs ensevelis peuvent-ils refaire surface et quelles sont les clés pour se reconstruire ? Éclairage sur les profondeurs de la psyché.

1/ DÉFINIR L'AMNÉSIE TRAUMATIQUE

Face à une situation particulièrement dangereuse ou agressive, une personne peut se retrouver en état de sidération, et ne plus parvenir à gérer le stress émotionnel. Il s’agit d’un traumatisme. Dans certains cas extrêmes, l’adrénaline et le cortisol, sécrétés en excès par l’amygdale cérébrale, constituent un risque vital pour l’organisme, pouvant provoquer l’arrêt cardiaque ou de graves atteintes neurologiques. Pour se protéger, le cerveau utilise alors un système de défense comparable, selon Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie, à une « disjonction du circuit des émotions et de la mémoire ». La déconnexion permet à la victime de se détacher des événements insoutenables, et d’y survivre.

Cette anesthésie émotionnelle définit la dissociation traumatique, et reste active tant que la victime se sent menacée. Ces mécanismes de survie neurobiologiques mettent également en place la mémoire traumatique, un espace de stockage qui « gèle » les souvenirs insupportables, mais, en contrepartie, provoque des symptômes psychotraumatiques.

Ce type d’amnésie se retrouve chez les personnes en état de stress post-traumatique (ESPT) dont l’origine du trauma* varie : attentat, guerre, accident, deuil, violences sexuelles. L’inceste, du fait de son caractère intrafamilial, du jeune âge des victimes et de la répétition de l’agression, accroît le risque de développer une amnésie traumatique. Particulièrement vulnérable aux violences, le cerveau d’un enfant peut subir des dommages visibles à la neuro-imagerie. Grâce au concept de neuroplasticité, et aux stratégies de compensations et d’adaptations, ces atteintes cérébrales sont réversibles. Encore faut-il pouvoir les diagnostiquer…

C’est la raison pour laquelle Muriel Salmona se bat aux côtés de la MIPROF (Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains) afin que tous les professionnels de santé bénéficient d’une formation initiale en psychotraumatologie. De même, officiers de police, gendarmes, juges, tous les acteurs des différentes institutions en lien possible avec des victimes d’amnésie traumatique devraient pouvoir discerner des signaux évocateurs, et adapter leur écoute. Dans les faits, le manque de connaissances sur le sujet contribue à minimiser des récits souvent chaotiques, et discréditer des témoignages classés sans suite.

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Cela fait partie des raisons qui m’ont incitée à écrire Dis-lui au revoir, dont l’amnésie traumatique est au cœur de l’intrigue. C’est un phénomène encore trop méconnu, qui est tout à la fois fascinant (comment le cerveau peut-il oublier à ce point de tels traumatismes ?) et effrayant en raison des conséquences que cela entraîne dans le quotidien des victimes.

➡️ Lorsque les enfants assistent au meurtre de leur mère dans le cadre d’un féminicide, une amnésie traumatique peut se mettre en place. Je t’invite à lire notre article qui traite de ces crimes de genre encore trop nombreux en France.

2/ RECONNAÎTRE LES TRAUMATISMES LIÉS À LA VIOLENCE

La dissociation sert à protéger la victime tant que celle-ci n’est pas prête à affronter la vérité, mais le processus n’efface pas les violences endurées. Aussi, de nombreux troubles psychosomatiques et comportements spécifiques apparaissent chez les adultes ayant vécu des atrocités durant leur enfance :

  • troubles alimentaires ;
  • addictions ;
  • automutilations ;
  • troubles du sommeil ;
  • crises d’angoisse ;
  • faible estime de soi ;
  • sentiment de ne plus pouvoir vivre ;
  • épisodes répétés de violence physique ou sexuelle ;
  • peur des autres, difficultés relationnelles.

N’aie crainte, si tu te reconnais dans certaines de ces attitudes, cela n’indique pas, à coup sûr, que tu as dû supporter des abus dont tu ne te souviendrais pas !

Néanmoins, dans le monde, selon les chiffres de l’OMS, 1 fille sur 5 et 1 garçon sur 13 ont subi des violences sexuelles durant leur enfance, tous ne s’en souviennent pas. C’est énorme et ces enfants devenus adultes connaîtront certains des symptômes listés ci-dessus. Aussi, lorsque des périodes paraissent troubles, et que des comportements ou des somatisations gênent la vie quotidienne, il ne faut pas hésiter à solliciter l’aide d’un médecin.

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3/ Comprendre la résurgence de la mémoire

Les souvenirs enfouis reviennent par bribes quand la victime peut enfin faire face, ou à l’occasion d’un choc (décès, annonce d’une maladie) ou d’un bouleversement émotionnel (grossesse, adoption).

Des odeurs, des symptômes corporels ou des perceptions désagréables, des sensations de terreur inexpliquées s’imposent graduellement. Tous ces signaux entraînent fréquemment des attaques de panique car la personne ne comprend pas ce qui lui arrive.

Dans le cas de Julie, l’héroïne de Dis-lui au revoir, un banal accident de voiture ouvre la boîte de Pandore. Les ecchymoses sur sa peau ravivent des blessures très anciennes et provoquent des flashbacks.

La réapparition des souvenirs traumatiques s’impose toujours violemment, et s’accompagne de cauchemars. Progressivement, tous les indices associés prennent sens. La victime peut faire des liens entre eux, et la brume se dissipe.

Tu as certainement constaté la déferlante du mouvement #MeToo puis #MeTooInceste sur les réseaux sociaux. Cette dynamique a suscité une libération de la parole. De nombreux témoignages ont éclairé les souvenirs d’autres victimes, et les ont incitées à sortir du silence. Un mot, une émotion peuvent suffire à déclencher la levée de l’amnésie.

Mais il peut aussi s’écouler des dizaines d’années avant l’apparition des premières manifestations, puis des reviviscences. Pour cette raison, des associations et collectifs de victimes réclament l’annulation du délai de prescription, période au-delà de laquelle il n’est plus possible de poursuivre les agresseurs. Certaines victimes sont sorties de l’amnésie traumatique 30 ans voire 40 ans après les faits ! En raison du délai de prescription, leur plainte n’est pas recevable et les faits ne seront jamais reconnus, alors que leur vie, elle, continuera d’être un enfer.

C’est aussi cela que je souhaitais dénoncer en rapportant l’histoire de Julie. Car, même si le personnage est imaginaire, le roman a été construit à partir de témoignages de victimes qui m’ont relaté tout ce qu’elles avaient enduré durant leur enfance, puis au cours de leur vie et enfin, depuis la levée de l’amnésie qui est une période d’une extrême violence psychologique et qui peut conduire certaines personnes au suicide.

4/ Se reconstruire et vivre après un traumatisme

Le chemin vers soi peut s’avérer long et douloureux. Les victimes doivent être soutenues dans leur démarche par des professionnels formés à ce trouble psychiatrique. Il n’est jamais trop tard pour demander une prise en charge. Même longtemps après le traumatisme, la neurogénèse, c’est-à-dire la capacité du cerveau à produire de nouveaux neurones, peut réparer les structures endommagées du système limbique. Si tu te sens concerné.e, ou quelqu’un de ton entourage, voici quelques pistes pour parvenir à vivre plus sereinement.

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Se faire accompagner pour soigner la mémoire traumatique

Il est indispensable de se rapprocher d’un spécialiste afin d’entamer un travail de reconstruction. Une thérapie fournit au patient les outils qui lui permettent de mieux comprendre son mode de fonctionnement, ses émotions, ses réactions, et les symptômes apparentés.

Différentes techniques ont prouvé leur efficacité. Les thérapies cognitives et comportementales (TCC) et l’EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing) sont particulièrement recommandées. Cette dernière provoque une désensibilisation, et soigne des séquelles traumatiques grâce à des mouvements oculaires spécifiques. L’hypnose, en revanche, est formellement déconseillée. Les séances risquent de faire remonter beaucoup trop d’éléments à la fois, impossibles à intégrer par les patient.e. s qui vont se sentir encore plus mal.

Soulager la souffrance psychique et traiter les comorbidités grâce à
un traitement adapté

La dépression et les troubles anxieux oppressent généralement les victimes de traumatismes. Un traitement médicamenteux peut s’envisager en soutien d’une psychothérapie. Les antidépresseurs et les anxiolytiques sont souvent qualifiés de « béquille chimique ». Tu dois savoir que, pris seuls, ils ne suffisent pas à régler un problème. Ils peuvent même s’avérer délétères dans cette amnésie en particulier. Les pics d’adrénaline, qui réveillent la mémoire traumatique et génèrent les montées de stress, sont généralement traités avec des bêtabloquants.

Se réconcilier avec son corps

En cas d’amnésie traumatique, le psychisme n’est pas le seul à se cadenasser. Le corps, surtout s’il a dû supporter des violences, se verrouille également. Une activité sportive, pratiquée régulièrement, donne l’occasion d’évacuer des tensions émotionnelles. De même, la relaxation et la méditation, grâce à des exercices de respiration, occupent une place de choix dans la reconnexion au corps.

➡️ Découvre nos 7 conseils pour apprendre à s’aimer soi-même.

S’extérioriser au travers d’activités

Les activités créatives offrent la possibilité de s’exprimer sans censure, et de mettre au jour des émotions enfouies. Il peut s’agir d’écriture, de peinture, de théâtre ou de musique. Cette liste n’est pas exhaustive. Chacun.e doit trouver le support qui lui convient le mieux pour communiquer et apprivoiser ses maux.

Restaurer l’estime de soi

Les victimes d’abus ressentent souvent de la honte et de la culpabilité, comme si, non seulement elles avaient provoqué la situation, mais encore, n’avaient pas eu la force de se défendre. Cette image de soi défaillante se vérifie d’autant plus que l’agresseur a employé la manipulation et l’humiliation. Or, l’absence de réaction résulte du processus de dissociation mis en place. Si tu as subi des violences, tu dois apprivoiser l’idée que tu n’as rien à te reprocher, et que ce n’est pas ta faute.

➡️ Pourquoi ne pas tester la gratitude, une vision positive pour se reconstruire ?

➡️ Découvre l’histoire d’une victime qui affronte la levée de l’amnésie traumatique à travers le récit de Julie, l’héroïne du roman Dis-lui au revoir,inspiré d’une histoire vraie.

Outil de sauvegarde déployé en urgence, l’amnésie traumatique isole la victime d’une situation de stress aigu, dont la réponse émotionnelle extrême fait courir un risque vital. Un diagnostic et des soins précoces réduisent les conséquences psychologiques, et limitent l’altération de la santé mentale et physique. Cependant, même tardive, une prise en charge demeure essentielle, car la plasticité neuronale offre au cerveau la capacité de se restructurer. Mais au-delà de ces mesures thérapeutiques, les professionnels réclament surtout la mise en place d’actions de prévention et de protection. En effet, disposer en amont de moyens d’intervention s’avère, selon eux, primordial.

* En psychologie, le trauma désigne le dommage psychique causé par un événement particulièrement violent. Le traumatisme, quant à lui, se réfère aux conséquences de ce trauma.

dis-lui au revoir

Sources :

Association Mémoire traumatique et victimologie. La mémoire traumatique en bref. Disponible sur : mémoiretraumatique.org

SALMONA Muriel. L’amnésie traumatique : un mécanisme dissociatif pour survivre. In Victimologie, évaluation, traitement, résilience. Paris. Dunod, 2018, pp. 71 à 85. 

SPIEGEL David. Amnésie dissociative. Disponible sur :  msdmanuals.com

Crédit photo : Pexels

Article rédigé en collaboration avec Laurence Rossignol Ernault lors du cursus de formation en rédaction web chez FRW.

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