REGRET MATERNEL | LE TABOU ULTIME DE LA MATERNITÉ

Quand le regret maternel brise l'image de la maternité idéale

Le regret maternel se révèle être un grand tabou de la maternité, étape ultime de la féminité. Rares sont les femmes qui osent aborder le sujet de peur d’être les cibles de jugements sociaux, car il est admis que devenir mère est un accomplissement, le plus beau cadeau de la vie. La maternité est idéalisée par la société, fantasmée par de nombreuses femmes avant de la vivre. Pourtant, il est possible de regretter d’être mère. C’est ce que certaines femmes m’ont rapporté pour l’écriture de mon roman, Au creux de nos bras, qui aborde cet aspect de la maternité. Qu’y a-t-il à savoir à propos du regret d’être mère ? Qui sont ces femmes qui regrettent d’avoir des enfants ? Cela signifie-t-il qu’elles ne les aiment pas ? Combien de personnes sont concernées ? 

1/ QU'EST CE QUE LE REGRET MATERNEL ?

Après l’accouchement, certaines jeunes mamans développent un regret de leur nouveau statut. La prise de conscience peut être rapide : il n’y a pas de coup de foudre lors de la première rencontre avec le bébé. Parfois, cette prise de conscience a lieu dès la grossesse, comme en témoigne Marina.

Le chagrin, l’amertume que peut ressentir une jeune maman en raison du nouveau rôle qu’elle endosse brosse le portrait du regret maternel. Et cela même si l’enfant était désiré, la grossesse attendue et investie. Pourtant, avec l’expérience, elles réalisent quel bouleversement émotionnel et logistique un nouveau-né provoque.

Si elles pouvaient revenir en arrière, elles ne feraient pas d’enfant. La plupart d’entre elles utilisent des termes comme piège, prison, privation, lorsqu’elles évoquent leur rôle de mère.

D’après les témoignages que j’ai recueillis pour imaginer le personnage d’Olga, qui, dans mon roman Au creux de nos bras, avoue à sa famille qu’elle a toujours regretté être mère, les difficultés sont les suivantes :

  • ces mères se sentent privées de leur liberté,
  • les jours qui suivent l’accouchement sont pénibles, la fatigue et les bouleversements hormonaux n’aidant pas à s’approprier ce nouveau rôle. Ces mères ne sont pas forcément concernées par la dépression du post-partum,
  • elles se sentent rapidement enfermées dans un rôle qui ne leur correspond pas,
  • la pression est trop grande : alimentation, éducation, scolarité, santé, etc. tout doit être parfaitement mené,
  • elles réalisent le poids des responsabilités lié à la vulnérabilité de l’enfant,
  • elles doivent revoir à la baisse leurs ambitions professionnelles,
  • l’absence de temps libre pour se consacrer à des loisirs, des visites amicales fait défaut,
  • elles ont le sentiment que la femme s’efface derrière le rôle de mère. Leur identité féminine finit par être occultée au profit du nouveau-né et de la vie de famille,
  • le couple est déstabilisé, voire explose avec l’arrivée d’un bébé,
  • éduquer un enfant coûte cher et les difficultés financières peuvent être à l’origine de ce regret.

Ce mal être postnatal ne signifie pas qu’elles ne portent aucun amour à leur enfant. Elles deviennent très rarement des mères maltraitantes. Bien au contraire. Elles peuvent se mettre une pression incroyable pour compenser leur sentiment de culpabilité, de honte afin de devenir des « mères modèle ».

2/ LES FACTEURS SOCIAUX À LA BASE DU REGRET D'ÊTRE MÈRE

Depuis leur plus jeune âge, les filles ont toujours eu des jouets correspondant à leur genre. À l’âge adulte, avoir un enfant et assumer leur rôle de parentalité deviennent une de leurs priorités. La valeur que la société accorde à la maternité est telle que n’importe quelle femme pourrait penser que pour se sentir accomplie, il faut devenir mère.

  • comment le rôle imposé aux mères change-t-il celui des femmes au sein de la société ? En réalité, devenir maman implique d’être une bonne mère tout en demeurant la femme qu’elle a toujours été. C’est une pression monstrueuse ;
  • de quelle façon la maternité est-elle perçue par la société ? Dans l’imaginaire général, avoir un bébé et assumer sa maternité rime avec bonheur en famille. Cela constitue aussi une raison d’être fière de son évolution à savoir d’être passée de célibataire a femme en couple puis mère. On ne dit jamais aux petites filles « si tu deviens mère », mais toujours « quand tu deviendras mère », comme si cette possibilité relevait de l’évidence et non de l’éventualité ;
  • comment la société symbolise la maternité ? Joie, épanouissement, accomplissement, bonheur. Les substantifs positivement connotés en manquent pas pour définir la maternité. Ainsi, les jeunes mères ne sont pas préparés à l’autre face, les difficultés, la pression, les contraintes, la diminution des temps libres, ce qui peut conduire au désenchantement de certaines ;
  • comment l’identité féminine est-elle modifiée par la maternité ou non ? Une femme qui affirme sa volonté de ne pas avoir d’enfants est victime de bien plus de jugement qu’un homme qui ne souhaite pas devenir père. De plus, une mère qui ne réclame pas la garde de ses enfants est perçue comme une mauvaise mère dépourvue d’amour maternel.

Si tu ne l’as jamais vue, je t’invite à regarder cette vidéo où l’actrice Anémone évoque le non-choix de sa maternité avec son franc parler (avance à 5min35 si tu ne souhaites pas écouter les autres sujets). Elle explique « Je ne voulais pas, c’est la société qui me les a collés », en parlant de ses enfants.

De plus, dans ces portraits de femmes, on retrouve très souvent des difficultés relationnelles de la jeune mère avec sa propre mère :

  • maltraitance physique ou psychologique,
  • alcoolisme,
  • abandon,
  • contact rompu,
  • mère absente psychologiquement,
  • absence d’affection.
regret maternel

3/ LES RÔLES DE PÈRE ET DE MÈRE

Comme abordé plus haut, les femmes concernées par le regret maternel perçoivent bien plus d’inconvénients que d’avantages dans la vie de maman. Cela survient moins souvent chez un homme n’ayant pas souhaité devenir papa. Le regret d’être père est moins présent chez la gente masculine en raison des normes sociales. Celles-ci ne leur demandent pas de jouer le même rôle que les mères, il peut s’éloigner plus facilement de cette responsabilité.

Au moment où un comportement maternel sera critiqué chez la femme, cela sera admis comme normal chez le père. La société est sévère avec la femme. À titre d’exemple, lorsque le père dépose l’enfant à l’école et que les couettes sont de travers, l’homme ne subit aucun préjugé. Certains iront même jusqu’à trouver cela « mignon ». Tandis que si c’était la femme, son incapacité à les réaliser convenablement aurait été critiquée.

Le portrait de la mère idéale pèse sur toutes les femmes, alors qu’il n’existe pas pour le père idéal. Combien de peintures mettent en avant la mère parfaite, épanouie et l’enfant comblé ?

De la même façon, on ne dit pas aux petits garçons « quand tu deviendras père ». La question de la paternité ne se pose pas, quel que soit l’âge ou le statut de l’homme.

Les femmes qui ont témoigné pour mon roman ont souvent mis en avant l’absence du conjoint dans l’éducation des enfants. Il semble que cet aspect relève de leur seule responsabilité. Or, éduquer un enfant est chronophage, c’est aussi une charge émotionnelle. Lorsque le père est investi, davantage présent, cela permet :

  • de mieux répartir les tâches et les décisions,
  • de laisser davantage de liberté à la mère,
  • de l’alléger cognitivement et émotionnellement.

Le rôle maternel peut alors apparaître moins pesant et atténuer les regrets, voire les empêcher de naître.

4/ COMMENT IDENTIFIER LE REGRET MATERNEL ?

Le regret maternel peut se traduire de nombreuses façons  :

  • la dépression postnatale
  • l’irritabilité
  • la sensation de se sentir dépassée
  • la naissance d’angoisses multiples à la naissance d’un bébé
  • la perte d’appétit
  • l’anxiété
  • l’épuisement maternel
  • la régression physiologique
  • la tristesse
  • des pleurs fréquents
  • l’envie de disparaître ou de voir son bébé disparaître (cf le témoignage de Marina)
  • le sentiment de honte et/ou de culpabilité.

La plupart de ces mères se jugent monstrueuses, car le regret maternel est un tabou ultime. Comment une femme peut-elle oser dire qu’elle regrette d’avoir fait des enfants ? L’impossibilité à se confier, à trouver une oreille empathique, accroît ces symptômes qui peuvent se développer dès la naissance ou quelques mois après.

Car, dans l’imaginaire collectif, regretter d’être mère, cela revient à rejeter leur(s) enfant(s). Or, il n’en est rien. Ce qu’elles regrettent c’est la charge inhérente à la fonction de mère, cela ne les empêche pas d’aimer leur enfant. Mais pour ces femmes, les moments de bonheur, de sérénité sont insuffisants pour contrebalancer les moments de contraintes, de peur, d’asservissement.

Cela peut aussi se produire après la perte d’un enfant. Parfois, pour combler le vide laissé par le décès d’un bébé, les parents vont se lancer trop vite dans une nouvelle grossesse, sans avoir correctement fait le deuil périnatal (autre sujet tabou de la maternité). Ils ne seront alors pas en mesure d’accueillir correctement l’enfant d’après.

Heureusement, aujourd’hui les langues se délient grâce à des ouvrages parus sur le sujet et grâce à des témoignages postés sur les réseaux sociaux.

5/ LE REGRET MATERNEL EN CHIFFRES

Parmi ces ouvrages il en est un de référence, celui de Orna Donath, docteure en sociologie et enseignante à l’Université Ben Gourion du Neguev en Israël. En 2015, elle publie l’étude « Regretting Motherhood : A Sociopolitical Analysis », traduite en français aux éditions Odile Jacob, sous le titre « Le regret d’être mère ».

La chercheuse a donné la parole à 23 mères, âgées de 25 à 75 ans, en leur posant la question suivante : « Si vous pouviez revenir en arrière dans le temps, avec la connaissance et l’expérience que vous avez aujourd’hui, seriez-vous une mère ? ». Les mères interrogées ont répondu : « non ». Cette étude dérangeante a suscité des débats houleux dans plusieurs pays.

Selon les résultats de cette étude, la maternité peut être « une source de satisfaction personnelle, de plaisir, d’amour, de fierté, de joie et de contentement », mais aussi être, en même temps, « un royaume de stresse, d’impuissance, de frustration, d’hostilité et de déception, ainsi qu’une arène d’oppression et de subordination ».

La quatrième de couverture résume ainsi l’étude :  Ce livre est un cri d’alarme. Oui, certaines femmes regrettent d’être mère. Elles aiment leurs enfants, mais elles ont aussi besoin de s’exprimer par elles-mêmes, de s’épanouir, de réussir. Il n’est pas toujours facile de concilier le fait d’être mère et celui d’être une femme qui se réalise. L’idée même que l’on puisse concevoir du regret d’être mère peut être troublante. Orna Donath a interrogé de nombreuses femmes pour ce livre et propose l’idée suivante : nous devons nous questionner sur la façon dont la société pousse les femmes vers la maternité et pourquoi celles qui ne sont pas prêtes à suivre ce chemin sont encore considérées comme pouvant être une menace. Un livre étayé, nouveau, qui force à réagir.

 

L’année suivante, un sondage réalisé en Allemagne par YouGov, a révélé que :

  • 73 % des Allemands ayant des enfants ne regrettent pas leur décision,
  • 7 % sont indécis,
  • 20 % des parents expliquent que même s’ils aiment leurs enfants, s’ils pouvaient revenir en arrière, ils n’auraient pas d’enfant.

 

Une autre étude publiée en 2021 dans la revue scientifique polonaise Plos One dévoile que14% des sondés regrettent d’être devenus parents. Ils étaient 10% lors des derniers sondages. Cette étude a été réalisée sur deux groupes de 1 175 et de 1 280 personnes ayant eu au moins un enfant. Les résultats attestent que :

  • 14 % des parents ayant un enfant d’en moyenne 6 ans et demi répondent qu’ils choisiraient une vie sans enfant,
  • 10,7 % avouent regretter d’être parent dans le groupe de ceux ayant un enfant d’en moyenne 3 ans.

À l’heure où j’écris ces lignes, aucune étude n’a été menée sur le sujet. Pour autant, je n’ai pas eu à attendre longtemps pour recevoir des témoignages, lorsque j’ai posté ma demande sur les réseaux sociaux afin d’imaginer l’histoire d’Olga. J’aime écrire des histoires réalistes, c’est pourquoi je souhaitais m’inspirer d’histoires vraies.

Trop de pression, manque de liberté, carrière professionnelle avortée, manque de soutien, etc. les raisons du regret maternel sont nombreuses. Même si le sujet reste tabou les langues se délient, il est à espérer que les fillettes d’aujourd’hui pourront choisir librement de devenir mères ou non, lorsqu’elles seront en âge de procréer. Et si elles décident de faire des enfants, alors que ce soit en conscience des difficultés maternelles, car, non, devenir mère n’est pas toujours synonyme d’épanouissement et d’accomplissement.

roman au creux de nos bras
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